Victoire majeure contre l’AMF
AMF c. Karl Talbot : Victoire spectaculaire d’un entrepreneur contre l’AUTORITÉ… une surpuissance de l’État
6.1 Le rôle du tribunal
[…]
[93] Dans la présente affaire, il s’avère nécessaire d’effectuer les remarques préliminaires suivantes.
[94] Au départ, rappelons que le tribunal bénéficie d’une position privilégiée pour voir et entendre les témoins ainsi que les procureurs de chaque partie.
[95] Le processus de synthèse et d’analyse auquel le Tribunal doit se consacrer avec rigueur, au cours de son délibéré, afin de rendre une décision éclairée, objective et appropriée, est la recherche de la vérité évitant à tout prix de se transformer en commission d’enquête sur le fonctionnement d’un organisme public pour établir des recommandations.
[96] Il ne doit pas non plus s’instituer en tribunal disciplinaire pour examiner la conduite de l’un ou l’autre des procureurs sur le plan déontologique et, au besoin, leur en faire subir les conséquences.
[97] Il ne doit même pas être perçu comme un tribunal de droit civil pour faire le procès d’auteurs de délits civils, dans la perspective de leurs devoirs et responsabilités à la lumière des principes de droits civils.
[98] Cela étant, il va de soi que le rôle du Tribunal est de rendre sa décision, après analyse, uniquement en fonction de la preuve tant testimoniale que documentaire, dans une poursuite de nature pénale, et non en se basant sur des hypothèses, de simples suppositions, des soupçons, des insinuations, des conjectures ou, à la limite, sur des risques potentiels pris isolément ou même cumulativement.
[99] Ajoutons que l’on ne doit pas se laisser distraire par les propos tant écrits que verbaux de procureurs habiles et expérimentés, qui peuvent parfois faire appel à divers sentiments et émotions tels que la sympathie, la pitié, l’indignation, la frustration, l’étonnement, l’exaspération, voire même l’outrage et la révolte en criant au scandale.
[100] En somme, le Tribunal doit garder sereinement une vue d’ensemble du dossier, de l’essentiel des enjeux concernés et des questions en litige.
[101] C’est dans cette optique que s’amorce la présente analyse : voilà pourquoi cette mise au point devait être établie.
6.2 Première question : La poursuite intentée par l’AMF contre le défendeur est-elle prescrite ?
[…]
6.2.3 Conclusion concernant la prescription
[170] CONSIDÉRANT ce qui précède, LE TRIBUNAL CONCLUT que le défendeur a soulevé un doute raisonnable, conformément au deuxième paragraphe de l’article 211 LVM, selon lequel le début de l’enquête se situe le 3 avril 2007 ou, à la limite, le 15 mai 2007, soit avant le 5 juin 2007. En conséquence, la poursuite de l’AMF intentée en juin 2012 est prescrite suivant le premier paragraphe de l’article 211 LVM et les plaintes émises contre le défendeur dans le présent dossier sont donc rejetées.
Note transitoire
[171] Vu la conclusion à laquelle le Tribunal en arrive relativement à la prescription, mettant fin à la poursuite intentée par l’AMF, il ne serait pas nécessaire en principe de se prononcer sur la deuxième question soulevée concernant à l’arrêt des procédures pour abus de procédures.
[172] Néanmoins, le Tribunal estime, dans l’éventualité d’une contestation de sa décision devant une juridiction supérieure et dans le souci d’une saine administration de la justice, qu’il serait opportun de se prononcer également sur la deuxième question, ne serait-ce que sommairement, en tentant de synthétiser, de distinguer l’accessoire du principal dans la preuve et de s’en tenir à l’essentiel.
6.3 Deuxième question : la conduite de l’AMF constitue-t-elle un abus de procédures ?
6.3.1 Rappel et commentaires préalables
[173] D’entrée de jeu, et particulièrement dans cette partie, il n’est pas inutile de faire référence à ce qui a été mentionné en début d’analyse, à propos du rôle du Tribunal (section 6.1).
[174] Conséquemment, dans le but de circonscrire la décision sur cette deuxième question, il n’est pas de l’intention du Tribunal d’entrer dans le débat portant sur des conflits internes entre les administrateurs de Nemex, sur les tentatives de restructuration ou de prise de contrôle de la compagnie ou encore sur le rôle véritablement joué par Sébastien Talbot dans ses relations d’affaires avec son cousin Karl Talbot.
[175] On s’en tiendra donc à maintenir le projecteur sur la conduite de l’AMF à l’égard du défendeur.
[176] À cette fin, il faut garder à l’esprit que ce dernier doit assumer un fardeau de preuve prépondérante d’un abus de procédures, d’une conduite abusive de l’AMF à ce point tel qu’elle constitue une violation des droits du défendeur prévus à l’article 7 de la Charte et que le seul remède, en pareilles circonstances, serait l’arrêt des procédures.
[…]
6.3.3.1 Les reproches formulés
[186] D’une façon générale, le défendeur reproche à l’AMF d’avoir exercé ses pouvoirs en les «instrumentalisant» au profit d’intérêts privés.
[187] Dans cette optique, le défendeur soutient qu’il y a eu connivence entre l’AMF et ce groupe d’intérêts privés dont faisait partie Sébastien Talbot et, en particulier, qu’il y a eu collusion entre certains dirigeants ou employés de cet organisme et ce groupe d’intérêts privés, par le biais d’actions concertées de Sébastien Talbot, de Séverine Le Rallec et de l’avocat, Me Jean-François Welch.
[188] À ce propos, c’est un fait incontesté que Sébastien Talbot, bien qu’il ait sollicité des investissements dans Nemex, n’a pas été poursuivi contrairement à Karl Talbot.
[189] C’est aussi indéniable qu’il est devenu en 2008 le conjoint de Séverine Le Rallec, un cadre supérieur de l’AMF.
[190] De la même manière, on ne peut certes pas nier qu’en 2008, et même en 2009, il a collaboré au déroulement de l’enquête pénale de l’AMF, en servant de délateur de Karl Talbot, particulièrement lors de sa rencontre en compagnie de son avocat, Me Welch, le 9 septembre 2008, avec les enquêteurs Robitaille et Bernier.
[191] Quant à Me Jean-François Welch, la défense n’hésite pas à lui reprocher, à tort ou à raison, son conflit d’intérêts d’avoir représenté tour à tour Sébastien Talbot et Nemex en se mobilisant contre cette dernière et en faisant fi de ses obligations déontologiques.
[192] Enfin, Séverine Le Rallec, que le défendeur qualifie d’«étoile montante de l’AMF» et d’une proche du PDG de l’époque, est aussi dans sa ligne de mire pour soutenir la thèse de connivence et de collusion.
[193] Voilà donc les reproches d’ordre général exprimés par la défense formant, pour ainsi dire, la toile de fond de la théorie d’abus de procédures.
[194] Examinons maintenant ceux qui ont été formulés d’une façon plus précise.
[195] Suivant les prétentions de la défense, la conduite abusive de l’AMF, telle qu’exposée précédemment, s’est manifestée concrètement sous différentes formes particulières.
[196] Hormis le fait que Sébastien Talbot n’ait pas été poursuivi, le défendeur reproche à l’AMF d’avoir été la seule cible de son enquête.
[197] Le défendeur fait grief à l’AMF, lors de sa rencontre avec l’enquêteuse Robitaille, de ne pas avoir eu de mise en garde et ainsi de s’être auto-incriminé
[198] Selon le défendeur, les informations recueillies pour la normalisation de Nemex ne serviraient en réalité qu’à préparer une poursuite pénale éventuelle.
[199] Il n’a jamais été informé que le processus de la normalisation avait pris fin et qu’une enquête pénale était en cours ni qu’un rapport d’enquête avait été déposé.
[200] Il reproche à l’AMF de ne pas l’avoir rencontré pour donner sa version des faits après la rencontre de Sébastien Talbot le 8 septembre 2008, rencontre qui n’a fait l’objet d’aucun enregistrement audio.
[201] Bref, il soumet que tout s’est passé dans la clandestinité.
[202] En outre de ce qui va être souligné dans la suite de cette discussion, le Tribunal croit utile, à la lumière de la jurisprudence et de la doctrine, d’indiquer dès maintenant que l’enquêteur n’est pas obligé d’aviser la personne nommée dans l’ordonnance d’enquête de l’existence ou du début d’une enquête pénale[7].
[203] D’autres aspects ont aussi été évoqués, tels la longueur des délais pré-inculpatoires, la médiatisation effectuée par l’AMF lors du dépôt des poursuites et le montant de l’amende réclamée.
[…]
Me Jean-François Welch
[274] Son rôle dans ce dossier est pour le moins obscur et ambivalent pour ne pas dire questionnable. On ne peut pas prétendre qu’il a été mobilisé par l’AMF : c’est plutôt lui-même qui s’est mobilisé et est intervenu auprès de l’AMF au nom de Nemex.
[275] On ne pourra pas ignorer que le dossier Nemex lui a été transféré du cabinet de Me Jacques Boivin au sien : c’est ce que révèle le courrier de Sébastien Talbot à Karl Talbot en date du 9 juin 2008 (RAB-22).
[276] C’est à la suite de ce transfert que, le 7 juillet 2008 (R-12), il transmet par courriel à Martin Sansregret au nom de Nemex un début de réponse à la lettre du 13 mars 2008, dans le but d’activer le processus de normalisation, allant même jusqu’à indiquer que Nemex ne souhaitait plus être un émetteur assujetti.
[277] Or, un mois plus tard, une communication intervient entre Yan Paquette et Me Welch au cours de laquelle ce dernier l’informe qu’il ne représente plus Nemex et lui fait part de commentaires plutôt négatifs à l’égard de Karl Talbot et de la compagnie quant à sa survie.
[278] Comme on l’a vu précédemment, cette information se retrouve dans le courriel de Yan Paquette en date du 8 août 2008 (R-35) et déclenche la conclusion de mettre fin à la normalisation.
[279] Par la suite, le 7 septembre 2008, il se rend avec Sébastien Talbot à une rencontre avec Isabelle Robitaille, rencontre qu’il a sollicitée pour continuer leur travail de délation auprès de l’AMF.
[280] Ces quelques commentaires formulés devront être pris en compte dans les conclusions que nous abordons maintenant.
[…]
6.3.4.2 Conclusion générale
[291] Procédant maintenant à conclure sur la question d’abus de procédures, le Tribunal doit garder à l’esprit qu’une preuve prépondérante doit être faite d’une conduite grave, teintée de mauvaise foi et motivée par des raisons illégitimes.
[292] Il doit s’agir d’une inconduite d’une extrême gravité susceptible de choquer le sens de la justice et au point tel que le Tribunal exceptionnellement devrait prononcer l’arrêt des procédures.
[293] Le Tribunal, considérant l’ensemble de la preuve, ne peut arriver à cette conclusion : le procureur du défendeur peut être convaincu intimement et sincèrement de la justesse de ses arguments sans pour autant que le Tribunal en soit lui-même convaincu et les partage.
[294] Somme toute, la preuve ne révèle pas d’une façon prépondérante que l’AMF avait un plan bien arrêté, à l’avance, de déposer des poursuites contre le défendeur et que l’utilisation du processus de normalisation n’était en réalité qu’une «trappe à souris», un guet-apens ou un leurre.
[295] De l’avis du Tribunal, une enquête administrative a été menée de bonne foi, sans autre but ni planification que de régulariser la situation de Nemex.
[296] La normalisation aurait pu se concrétiser assurant ainsi la protection des investisseurs à la condition essentielle, toutefois, que Nemex et ses dirigeants fassent preuve constante de bonne foi et de collaboration avec l’AMF; or cette condition ne s’est malheureusement pas réalisée : voilà la réalité à laquelle la preuve nous conduit !
[297] Elle ne démontre pas non plus l’existence réelle d’une collusion entre l’AMF et un groupe d’intérêts privés dont faisait partie Sébastien Talbot, pour la poursuite et l’atteinte de fins illégales et abusives.
[298] En effet, la collusion, tout comme la connivence, est une entente secrète, mais s’en distingue par son but, soit celui de nuire et de préjudicier à un tiers.
[299] Encore faut-il en faire une preuve prépondérante d’une part, que cette entente existe réellement et, d’autre part, qu’elle s’inscrit dans un but précis de malice et de tromperie.
[300] Le juge des faits doit s’en tenir à cette qualité de preuve.
Dans la presse écrite, télévisée et sur le web
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