Responsable des fautes commises par sa compagnie ?
La société par actions est une personne morale, c’est-à-dire qu’elle a les droits et devoirs, à quelques exceptions près, d’une personne physique. Comme la compagnie a la personnalité juridique, ses administrateurs n’engagent pas leur responsabilité personnelle en cas de poursuite. Par exemple, aucun administrateur n’est tenu de rembourser de sa poche les dettes contractées par sa compagnie. Toutefois, ce principe souffre d’exceptions. Dans le très récent jugement 9252-8249 Québec inc. c. Hampstead Court inc.1, l’administrateur de la société défenderesse est poursuivi personnellement pour le préjudice subi par la demanderesse. La Cour reprend les propos du professeur Paul Martel pour définir les situations où un administrateur engage sa responsabilité personnelle2. Dans cette affaire, la Cour décidera d’écarter la responsabilité de l’administrateur en sa qualité personnelle et rejetera l’action formée contre lui |
Comment les administrateurs peuvent-ils engager leur responsabilité ? En premier lieu, l’administrateur est responsable s’il contracte une obligation personnelle, par exemple s’il cautionne une obligation de la compagnie : c’est l’évidence ! Ainsi, l’administrateur qui hypothèque son bien meuble personnel pour cautionner un prêt bancaire de sa société devra honorer son engagement si la société fait défaut de rembourser. En second lieu, la mauvaise foi ou l’intention malicieuse de l’administrateur lui fait engager sa responsabilité personnelle en cas de faute contractuelle de la société : c’est le cas typique de la fraude. En troisième lieu, l’administrateur sera solidairement responsable d’une faute de la société s’il a participé avec la société à commettre une faute dite extracontractuelle. Dans le cadre d’une relation d’affaires fondée sur un contrat, l’administrateur n’engagera sa responsabilité que dans le cas susmentionné de fraude. En dernier lieu, l’administrateur peut commettre une faute extracontractuelle et extérieure à l’exploitation de la société, faute qui sera régie par les règles générales de la responsabilité civile. Par ailleurs, il est nécessaire de rappeler qu’un administrateur risque d’être tenu personnellement responsable si la société omet de se conformer à certaines dispositions de la loi. Par exemple, le défaut de déduire retenir ou payer les déductions à la source, l’impôt et les sommes relatives aux taxes provinciales et fédérales rendra les administrateurs solidairement responsables de ces paiements avec la société. Dans de tels cas, les administrateurs devront pour leur défense démontrer qu’ils ont agi « avec prudence et diligence ». Cette liste non exhaustive recense certaines situations où l’administrateur engage sa responsabilité personnelle, que ce soit par l’effet même de la loi, ou par le caractère fautif des actions posées, au nom de la société. Cela équivaut-il pour autant au fameux « soulèvement du voile corporatif » ? Non ! |
Le soulèvement du voile corporatif Ce principe dont se gargarisent les médias est mal compris et porte à confusion. L’article 317 du Code civil du Québec se lit comme suit :« La personnalité juridique d’une personne morale ne peut être invoquée à l’encontre d’une personne de bonne foi, dès lors qu’on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l’abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l’ordre public. »Comme le mentionne à juste titre Me Karim Renno dans son article du 31 juillet dernier3, le courant dominant est à l’effet que le soulèvement du voile corporatif ne s’applique qu’aux actionnaires d’une société, et non à ses administrateurs. Il s’ensuit logiquement qu’on ne peut soulever le voile corporatif à l’égard d’un administrateur que si celui-ci est également actionnaire de la compagnie. Or, l’article 317 C.c.Q. ne s’applique que dans les rares cas où l’actionnaire fautif a utilisé la société comme « écran » pour masquer sa faute. Le concept « soulèvement du voile corporatif » prend tout son sens puisqu’on écarte alors cette protection derrière laquelle s’est caché l’individu blâmable, et dont il a utilisé la personnalité juridique distincte. C’est pourquoi la preuve qu’un administrateur et actionnaire majoritaire d’une société a commis une fraude n’est pas suffisante pour qu’on soulève à son égard le voile corporatif : encore faut-il qu’il se soit servi de sa compagnie comme écran.4 La responsabilité personnelle des administrateurs et le soulèvement du voile corporatif sont deux concepts distincts et il est primordial de les distinguer. L’utilisation d’une société par actions pour conduire des affaires est une bonne façon de se protéger au plan personnel, mais ne constitue pas une licence pour franchir les limites de ce qui est permis à un individu de faire. |
2013 QCCS 3572, [2013] ABD 303. Voir le jugementPaul MARTEL, «Le «voile corporatif» – l’attitude des tribunaux face à l’article 317 du Code civil du Québec», (1998) 58 R. du B. 95Karim RENNO, « Les circonstances dans lesquelles la responsabilité d’un administrateur peut être retenue », À bon droit, 31 juillet 2013. Voir l’article iciLanoue c. Brasserie Labatt ltée, 1999 QCCA 13784. Voir le jugement |