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Grimard c. Canada (2009 CAF 47)

Grimard c. Canada (2009 CAF 47)

« Contrat de travail vs Contrat d’entreprise »

La Cour fédérale d’appel qui entend notamment les appels de la Cour canadienne de l’impôt a rendu, le 19 février 2009, un jugement qui confirme diverses décisions antérieures au sujet des critères permettant de distinguer la présence d’un contrat de travail ou d’un contrat d’entreprise.

La distinction est importante au plan fiscal. S’il s’agit d’un contrat d’emploi, seules sont déductibles les dépenses expressément prévues par la loi et elles sont limitées. Dans le cas d’un contrat d’entreprise, le principe général est que l’on peut déduire toute dépense encourue en vue de gagner le revenu d’entreprise, ce qui permet beaucoup plus de déductions.

Faits

Grimard est un médecin spécialiste qui fournissait des services d’assesseur à la Commission des lésions professionnelles (ci-après « CLP) », anciennement la Commission d’appel en matière d’accidents de travail et des maladies professionnelles, un tribunal administratif. Ce tribunal siège à Montréal tandis que le médecin résidait à Sherbrooke. Il devait, entre autres, se déplacer à Montréal et y louer un pied-à-terre. Le médecin, considérant qu’il était un travailleur autonome régi par un contrat d’entreprise, a déduit certaines dépenses qui sont normalement admises à l’encontre d’un revenu d’entreprise, mais qui ne le sont pas à l’encontre d’un revenu d’emploi.

Arriva ce qui arriva, il fut cotisé par le fisc et les tribunaux ont eu à se pencher sur la nature du contrat le liant à la CLP parce que le médecin a contesté vigoureusement les cotisations.

Questions en litige

Code civil du Québec et common law

Parmi les questions en litige se trouvait celle reliée au droit applicable. Le Code civil du Québec contient des articles se rapportant aux notions de contrat d’entreprise et de contrat d’emploi. Dans les autres provinces du Canada, ce sont les règles de la common law qui s’appliquent. La Cour fédérale a une fois de plus reconnu le principe de complémentarité du droit civil québécois au droit fédéral lorsque les conditions de l’article 8.1 de la Loi d’interprétation L.R.C. (1985), c. I-21 sont rencontrées. Théoriquement, cela pourrait entraîner des différences de traitement entre les justiciables des différentes provinces du Canada, mais la Cour a démontré qu’il y avait de grandes similitudes entre les règles du Code civil et celles de la common law quoiqu’au plan conceptuel, l’approche différait.

Les critères de distinction

Le Code civil stipule à l’article 2085 :

  • 2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

Les articles 2098 et 2099 se lisent ainsi :

  • 2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.
  • 2099. L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution. Pour le contrat de travail, la notion de contrôle et de direction de la part de l’employeur est importante. Pour le contrat d’entreprise, l’absence de lien de subordination importe.

Contrôle et direction

Dans le cas d’un travail très spécialisé, il faut interpréter à l’aide de différents critères la notion de contrôle et de direction. Ce n’est pas parce qu’un chercheur de haut niveau est le seul à bien comprendre ses travaux qu’il ne peut être employé. On recherchera alors des indices comme : « présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d’activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. »1. Autrement dit, ce qui est la « marque d’un contrat de travail, ce n’est pas le fait que la direction ou le contrôle a été exercé effectivement par l’employeur  (la notion stricte ou classique), mais le fait qu’il avait le droit de l’exercer (la notion élargie) »2.

Plus on retrouvera les éléments ci-dessus, plus on sera porté à conclure que le travailleur est intégré à l’entreprise de l’employeur. Le médecin faisait partie des rouages de la CLP, il travaillait à temps plein, de façon continue pendant 8 ans, sa rémunération était passablement fixe.

Subordination

Bien que le médecin, en raison de son niveau d’expertise, jouissait d’une liberté quant à l’exécution du travail que la CLP lui demandait d’accomplir, le juge de première instance a tenu compte du fait qu’il était soumis à un Code de déontologie imposé par la CLP et qu’il agissait sous l’autorité d’un commissaire  :  « [l] existait donc mécanisme de contrôle en ce qui concerne son travail »3.

Propriété des outils de travail

Un autre critère est la propriété des outils de travail. Chaque critère s’évalue au cas par cas, mais plus sera importante la propriété de l’un ou de l’autre, plus l’élément sera à considérer. La Cour fournit l’exemple de la personne qui fournit son propre camion arborant sa publicité et 200 000 $ d’outils comme indiquant plutôt un contrat d’entreprise. Par ailleurs, le fait d’avoir à se servir d’un appareil spécialisé et coûteux appartenant au donneur d’ouvrage peut ne pas être considéré comme déterminant dans l’autre sens. Dans le cas du médecin, il disposait d’«  un bureau doté de tous les outils nécessaires pour exercer ses fonctions »4 fourni par la CLP.

Risques de pertes et possibilités de profit

Qui assume les pertes s’il s’en produit, la personne qui exécute le travail peut-elle réaliser un profit. S’agissant ici d’un tribunal, on ne saurait parler de profit, mais le médecin est-il exposé à quelque perte ou sa rémunération est totalement assurée?

Le médecin bénéficiait de congés annuels payés, de jours fériés payés, du remboursement de ses dépenses et d’une immunité de poursuite. Ces chances de pertes étaient pour ainsi dire nulles.

Conclusion

La Cour fédérale d’appel s’est rangée avec le juge de la Cour canadienne de l’impôt et d’ailleurs la Cour du Québec et la Cour d’appel du Québec étaient du même avis dans des litiges impliquant ce médecin et le fisc québécois. Toutes les cours ont conclu qu’il s’agissait d’un contrat d’emploi.

1. Grimard au para. 36.2.
2. Grimard c. La Reine, 2007 CCI 755 (CanLII), au para. 18.
3. Ibid. au para. 37.
4. Ibid. au para 39.